Alors que le taux de chômage des diplômés atteint des sommets, les Experts des Rencontres économiques du Cameroun proposent des réformes pour aligner la formation sur les besoins du marché dans un contexte de mutation technologique
Le chômage des jeunes diplômés du Supérieur est devenu une crise nationale au Cameroun. Avec un taux de chômage global de 74 % en 2024, selon Ga- briel Fandja, Président de la commission de l’éducation à l’Assemblée nationale, les jeunes titulaires d’un diplôme du Supérieur sont les plus touchés. Cette situation, aggravée par l’inadéquation entre l’offre éducative et les besoins de l’économie, a été au cœur des débats lors de l’atelier de formation et d’em- ployabilité des Rencontres économiques du Came- roun(Rec).
Sous le thème « Comment réduire le taux de chômage des jeunes diplômés du su- périeur ? », plusieurs Ex- perts, dont Gabriel Nkuissi, Secrétaire exécutif de l’Asso- ciation nationale des institu- tions privées d’enseignement supérieur (Anipes), et Sanda Oumarou, promoteur de l’Ins- titut supérieur de manage- ment Sanda, ont proposé des solutions concrètes pour ré- pondre à cette urgence so- ciale et économique.
Compétences avant diplômes
Pour Gabriel Nkuissi, l’une des principales réformes à initier est de rompre avec la culture du « matricule » et de la « diplomite ». «Ilfautdi-plômerlacompétence,etnonplusseulementlaconnais-sance», a-t-il plaidé. Intro- duire l’entrepreneuriat et les métiers dès la maternelle et réformer les examens natio- naux en privilégiant des certi- fications axées sur les compétences figurent parmi les priorités. En effet, l’écono mie camerounaise, comme celle du reste du monde, évo- lue vers une dépendance ac- crue aux nouvelles technologies.
« 80 % des métiers de de- main seront liés à l’innovation technologique », a rappelé M. Nkuissi. Il appelle donc à une refonte des programmes de formation, notamment des Bts et des licences, pour les rendre plus flexibles et en phase avec les besoins du marché. Le Cameroun doit impérativement identifier les secteurs prioritaires pour l’emploi, estime Gabriel Nkuissi. L’agriculture, les énergies renouvelables, les Tic, le Btp et le tourisme re- présentent des secteurs à fort potentiel.
Selon les estimations, près de 365 000 emplois seraient nécessaires dans ces do- maines pour répondre à la demande actuelle. Sanda Oumarou, de son côté, met en lumière un problème structurel. « Même là où il y a des compétences, il n’y a parfois pas de travail. C’est le piège de la pauvreté, plus on a les moyens de subsistance, moins on est incité à travail- ler. Nous avons investi dans des parcours sans issue, ce qui aggrave la précarité. »
Renforcer les liens entre universités et entreprises
Une autre piste évoquée est l’établissement de partena- riats solides entre les univer- sités et les entreprises. Pour cela, l’Anipes propose de pro- mouvoir la formation par al- ternance et de systématiser les stages professionnels. « Les entreprises doivent offrir des opportunités d’apprentis- sage et de stages pour per- mettre aux jeunes de développer des compétences pratiques », a insisté Nkuissi. L’Anipes envisage également de collaborer avec le Groupe- ment des entreprises du Ca- meroun (Gecam) pour formaliser ces initiatives à tra- vers des conventions de par- tenariat.
Décentraliser les opportunités économiques
Les Experts ont également plaidé pour une décentralisa- tion économique et indus- trielle. « La décentralisation ne doit pas être seulement administrative », a martelé Nkuissi. Des incitations fis- cales adaptées et des poli- tiques de développement régional sont nécessaires pour attirer les investisse- ments et créer des emplois en dehors des grandes villes. La création de centres de for- mation spécialisés et d’insti- tuts universitaires de qualité constitue une étape clé. Ces structures devront accompa- gner les jeunes diplômés dans leurs projets profession- nels et encourager l’émer- gence de champions nationaux dans divers sec- teurs.
Rappelons que les jeunes Docteurs chômeurs manifes- taient encore récemment à Yaoundé pour dénoncer leur exclusion des recrutements universitaires. Les proposi- tions issues des Rencontres économiques du Cameroun ouvrent des perspectives.
Cependant, leur mise en œuvre nécessitera un enga- gement fort des pouvoirs pu- blics, du secteur privé et des institutions de formation. Le Cameroun doit passer « d’une économie de carence de travail à une économie d’abondance de travail », conclut Sanda Oumarou.
Face à un monde en pleine mutation technologique, le pays n’a d’autre choix que de réformer en profondeur son système éducatif et écono- mique pour répondre aux as- pirations de sa jeunesse.
Michel NONGA